« Dans un an, la grande majorité des programmeurs sera remplacée par l’IA. » Cette affirmation percutante ne vient pas d’un provocateur en quête de buzz, mais d’Eric Schmidt, ex-PDG de Google et acteur-clé de l’essor technologique mondial. Fort de son expérience à la tête de l’un des piliers de l’innovation numérique, Schmidt ne parle pas d’un futur lointain mais d’un basculement imminent.
Selon lui, la montée en puissance d’IA capables de générer, corriger et améliorer leur propre code marque un tournant historique pour l’industrie du logiciel. Ce n’est plus une spéculation, mais une trajectoire : celle d’une automatisation massive du développement, où les programmeurs humains risquent de passer du rôle de créateurs à celui de superviseurs, voire d’être sortis de la boucle.
L’avènement de la super-intelligence avant 2035
Pour Eric Schmidt, nous ne sommes pas simplement face à une amélioration incrémentale de l’IA, mais à l’aube d’une rupture civilisationnelle. D’après ses déclarations lors d’un entretien TED en 2025, la super-intelligence artificielle – une forme d’IA dépassant l’intelligence collective de l’humanité pourrait voir le jour d’ici 10 ans seulement.
« L’arrivée de cette intelligence, tant au niveau de l’IA, que de l’AGI (Intelligence Artificielle Générale), puis de la super-intelligence, est l’événement le plus important qui se produira dans les 500, voire 1000 prochaines années de la société humaine, et cela se passe de notre vivant, » a-t-il affirmé avec conviction. (Source : Economic Times)
Cette vision s’inscrit dans ce qu’il appelle le « Consensus de San Francisco », une conviction partagée par de nombreux dirigeants de la Silicon Valley, dont Sam Altman d’OpenAI et Mark Zuckerberg de Meta. Selon ce consensus, nous assisterons d’abord à l’émergence de l’AGI dans 3 à 5 ans, une intelligence artificielle capable d’égaler l’humain dans pratiquement tous les domaines intellectuels, suivie rapidement par la super-intelligence. « Cela se produit dans les six ans, simplement sur la base de la mise à l’échelle, » précise Schmidt. (Source : CTO Magazine)
Certains experts comme Yann LeCun, directeur de l’IA chez Meta, contestent toutefois cette temporalité, estimant que l’AGI pourrait prendre plusieurs décennies à se concrétiser. Cette divergence illustre les incertitudes qui entourent encore ces prévisions, malgré les avancées spectaculaires des dernières années.
Une domination totale dans tous les secteurs avant 2030
Schmidt ne voit pas l’IA comme une simple technologie parmi d’autres, mais comme une force de transformation globale. Avant même 2030, les modèles d’IA domineront selon lui tous les secteurs économiques sans exception : santé, finance, éducation, droit, manufacture, commerce, transport…
« Il est raisonnable de prédire que nous aurons des savants IA spécialisés dans chaque domaine d’ici cinq ans, » a-t-il précisé dans un post LinkedIn en juillet 2025. « Imaginez maintenant leurs capacités et comment elles changeront la société et notre vie quotidienne. » (Source : Fortune)
Concrètement, cela pourrait se traduire par des diagnostics médicaux entièrement automatisés, des contrats juridiques rédigés et analysés sans intervention humaine, ou des systèmes éducatifs personnalisés pour chaque élève. Des secteurs entiers seront contraints de se réinventer, comme l’a fait l’industrie musicale face au streaming ou la presse face au numérique.
La fin des développeurs juniors d’ici 1 à 2 ans
L’une des prédictions les plus controversées de Schmidt concerne l’industrie du développement logiciel. Selon l’ancien PDG de Google, des IA de niveau mondial en mathématiques et en programmation émergeront d’ici 1 à 2 ans, rendant obsolètes les postes de développeurs juniors et même certaines fonctions de supervision senior.
Lors du sommet AI + Biotechnology à Washington en avril 2025, Schmidt a expliqué que cette transformation s’explique par la capacité croissante des systèmes d’IA à écrire leur propre code en utilisant des protocoles comme Lean, les rendant exponentiellement plus efficaces à chaque itération. (Source : San News)
« Dix à vingt pour cent du code dans des laboratoires de recherche comme OpenAI et Anthropic est désormais écrit par l’IA elle-même, » a-t-il révélé. Cette tendance s’accélère rapidement, remettant en question l’avenir de nombreux professionnels du secteur. (Source : Economic Times)
Cette vision suscite des inquiétudes légitimes chez les développeurs en début de carrière. Cependant, certains experts comme David Patterson, lauréat du prix Turing, suggèrent que les rôles évolueront plutôt que de disparaître complètement, les humains se concentrant davantage sur la définition des problèmes et l’évaluation des solutions que sur l’écriture du code proprement dit.
Des logiciels d’entreprise automatisés
Dans cette nouvelle ère dominée par l’IA, Schmidt prévoit que la majorité des logiciels d’entreprise seront écrits automatiquement. Les systèmes actuels comme SAP, Oracle ou Microsoft Dynamics pourraient être entièrement repensés par des IA capables de comprendre les besoins spécifiques de chaque organisation et d’adapter les solutions en temps réel.
Cette évolution représente un changement de paradigme pour l’industrie du logiciel d’entreprise, estimée à plus de 500 milliards de dollars annuellement. Les compétences recherchées évolueront, passant de la programmation pure à la capacité de collaborer efficacement avec des systèmes d’IA sophistiqués. Les entreprises pourront déployer des solutions sur mesure en quelques heures plutôt qu’en plusieurs mois, transformant radicalement leur agilité et leur compétitivité.
Pour les professionnels du secteur, cela implique une nécessaire reconversion vers des compétences d’orchestration et de supervision plutôt que de développement pur. Comme l’a souligné Schmidt : « Il ne s’agit pas d’éliminer les emplois mais de transformer fondamentalement leur nature. »
La fin des interfaces utilisateur traditionnelles
L’interface WIMP (Windows, Icons, Menus, Pointers) que nous utilisons quotidiennement depuis près de 50 ans est sur le point de disparaître selon Schmidt. À sa place, les agents en langage naturel deviendront notre principal moyen d’interaction avec les machines.
« Je pense que les interfaces utilisateur vont largement disparaître, » a-t-il déclaré. « Parce que si vous y réfléchissez, les agents parlent généralement anglais ou d’autres langues. Vous pouvez leur parler. Vous pouvez dire ce que vous voulez. » (Source : Office Chai)
Imaginez demander à votre appareil : « Crée-moi une présentation professionnelle sur les tendances du marché immobilier avec les données du dernier trimestre » ou « Analyse mes derniers résultats médicaux et suggère des ajustements à mon régime alimentaire. » L’IA générerait alors une interface spécifique à cette tâche précise, sans que vous ayez à naviguer dans des menus complexes.
Cette transformation est déjà en cours avec des assistants comme Siri, Alexa ou ChatGPT, mais Schmidt envisage une intégration bien plus profonde et universelle. Elon Musk semble d’ailleurs partager cette vision, ayant qualifié cette prédiction de « probablement vraie » sur son compte X en juillet 2025.
La crise énergétique comme principal facteur limitant
Derrière l’enthousiasme pour ces avancées se cache un défi colossal : les besoins énergétiques exponentiels de l’IA. Schmidt ne mâche pas ses mots sur ce point : « La limite naturelle de l’IA est l’électricité, pas les puces. » (Source : Quartz)
Les chiffres qu’il avance sont stupéfiants : les data centers américains auront besoin d’environ 92 gigawatts de puissance supplémentaire pour soutenir la révolution de l’IA, soit l’équivalent de 92 centrales nucléaires. Or, les États-Unis n’en ont construit que deux au cours des 30 dernières années. (Source : Fortune)
Cette situation pousse déjà les géants technologiques vers des solutions inédites. Microsoft, par exemple, investit dans la réouverture de la centrale nucléaire de Three Mile Island, fermée depuis 2019. Google a multiplié les investissements dans les énergies renouvelables, tandis qu’Amazon explore des solutions de refroidissement moins énergivores.
L’impact environnemental est également considérable. Un rapport récent de Microsoft révèle une augmentation de 34% de sa consommation d’eau entre 2021 et 2022, atteignant 1,7 milliard de gallons, principalement pour refroidir ses infrastructures d’IA. Les chercheurs estiment que d’ici 2027, les systèmes d’IA pourraient consommer entre 4,2 et 6,6 milliards de mètres cubes d’eau, assez pour remplir plus de 2 millions de piscines olympiques.
« Nous ne savons pas ce que l’IA apportera, et nous ne savons certainement pas ce qu’apportera la super-intelligence, mais nous savons que cela arrive rapidement, » avertit Schmidt. « Nous devons planifier à l’avance pour garantir que nous disposons de l’énergie nécessaire pour répondre aux nombreuses opportunités et défis que l’IA met devant nous. »
Les IA comme actifs stratégiques nationaux
Face à ces enjeux, Schmidt prévoit que les IA les plus avancées deviendront des actifs stratégiques nationaux, protégés comme des sites nucléaires. Cette militarisation de l’IA découle directement de son potentiel disruptif sans précédent.
Schmidt a introduit le concept de « Mutual Assured AI Malfunction » (MAIM), un régime de dissuasion ressemblant à la destruction mutuelle assurée de l’ère nucléaire, où toute tentative agressive d’un État pour obtenir une domination unilatérale en matière d’IA serait confrontée à un sabotage préventif par ses rivaux. (Source : National Security AI)
« Ces conversations se produisent déjà autour d’opposants nucléaires, » a averti Schmidt. « Aujourd’hui, il y a des personnes légitimes qui disent que la seule solution à ce problème est la préemption. » Il évoque des interventions allant des cyberattaques secrètes jusqu’aux potentielles frappes cinétiques sur les centres de données. (Source : CTO Magazine)
Cette vision inquiétante rappelle la course aux armements nucléaires du XXe siècle, mais avec une dynamique potentiellement plus instable en raison de la nature diffuse et évolutive de la technologie IA.
La Chine dans la course à la super-intelligence
La compétition entre les États-Unis et la Chine pour la suprématie en matière d’IA s’intensifie rapidement. Schmidt observe que l’avantage technologique américain, qui était de 2 à 3 ans il y a peu, s’est réduit à moins d’un an – une accélération sans précédent des capacités chinoises.
« Je pense que la compétition entre l’Ouest, particulièrement les États-Unis et la Chine, sera déterminante dans ce domaine, » a expliqué Schmidt. Il cite comme exemples concrets deux avancées chinoises récentes : un système de résolution de problèmes particulièrement puissant et un grand modèle de langage comparable aux derniers développements de Meta.
Cette rivalité ne se limite pas aux aspects technologiques. Elle s’étend aux normes éthiques, aux applications militaires et à l’influence géopolitique. Comme l’a souligné Schmidt, « ces deux pays sont suffisamment grands pour créer leurs propres marchés, » ce qui pourrait conduire à une bifurcation de l’écosystème mondial de l’IA, avec des implications profondes pour la cybersécurité et la gouvernance internationale.
Les risques de la diffusion des modèles open source
La démocratisation de l’IA via les modèles open source représente un dilemme majeur selon Schmidt. D’un côté, l’open source favorise l’innovation et l’accessibilité; de l’autre, il facilite la prolifération de technologies potentiellement dangereuses.
« La Chine sera probablement le leader dans l’open source à moins que quelque chose ne change. Et l’open source conduit à une prolifération très rapide dans le monde entier. Cette prolifération est dangereuse au niveau cyber et au niveau biologique, » a averti Schmidt.
Les risques sont multiples : des cyberattaques sophistiquées ciblant les infrastructures critiques, le développement accéléré de pathogènes biologiques, la création d’armes autonomes, ou encore des campagnes de désinformation à grande échelle exploitant les deepfakes et autres technologies de synthèse de contenu.
Face à ces dangers, Schmidt préconise une approche de non-prolifération similaire à celle appliquée aux armes nucléaires, tout en reconnaissant les défis spécifiques posés par la nature plus diffuse et accessible de l’IA. « Il est essentiel de trouver un équilibre entre innovation ouverte et sécurité, » souligne-t-il, appelant à des mécanismes internationaux de gouvernance plus robustes.
L’accélération des découvertes scientifiques
Au-delà des risques, l’IA promet des avancées spectaculaires dans le domaine scientifique. Schmidt prédit une accélération sans précédent des découvertes dans des domaines cruciaux comme la médecine, la physique ou les sciences des matériaux.
Dans un article pour MIT Technology Review en 2023, il expliquait comment l’IA transformera la méthode scientifique elle-même : « L’IA peut réécrire le processus scientifique. Nous pouvons construire un futur où des outils alimentés par l’IA nous épargneront des tâches fastidieuses et nous mèneront à des découvertes qui prendraient autrement des décennies. »
Des exemples concrets existent déjà : des chercheurs de McMaster et du MIT ont utilisé un modèle d’IA pour identifier un antibiotique contre une bactérie particulièrement résistante. DeepMind a développé un modèle capable de contrôler le plasma dans les réactions de fusion nucléaire, nous rapprochant d’une révolution dans le domaine de l’énergie propre. Dans le secteur médical, la FDA américaine a déjà approuvé 523 dispositifs utilisant l’IA, dont 75% pour la radiologie. (Source : Technology Review)
L’automatisation des expériences via des « laboratoires auto-pilotés » – des plateformes robotiques automatisées combinées à l’intelligence artificielle – permettra de multiplier les essais et d’explorer des hypothèses plus audacieuses et interdisciplinaires, libérant les chercheurs des contraintes traditionnelles de temps et de ressources.
Une croissance économique explosive
La dernière prédiction de Schmidt, et peut-être la plus spectaculaire, concerne l’impact économique de cette révolution technologique. Il anticipe que la croissance économique pourrait atteindre 20 à 30% par an grâce à l’IA, un rythme sans précédent qui ferait exploser le pouvoir d’achat mondial.
Pour mettre ces chiffres en perspective, la croissance économique mondiale moyenne sur les dernières décennies oscille autour de 3 à 4% annuellement. Une multiplication par 5 à 10 de ce taux représenterait une transformation économique sans précédent depuis la révolution industrielle.
Cette explosion de productivité s’explique par plusieurs facteurs : l’automatisation des tâches routinières, l’optimisation des processus décisionnels, la personnalisation à grande échelle des produits et services, et l’émergence de nouveaux modèles d’affaires aujourd’hui inimaginables.
Cependant, cette prospérité potentielle soulève d’importantes questions de répartition. Comme l’ont souligné plusieurs économistes, dont Daron Acemoglu du MIT, les bénéfices de l’IA pourraient se concentrer entre les mains d’un petit nombre d’entreprises et d’individus, exacerbant les inégalités existantes si des politiques appropriées ne sont pas mises en place.
Il faut se préparer à un monde transformé
Les prédictions d’Eric Schmidt dessinent les contours d’un monde profondément transformé par l’IA dans un avenir proche. Ces changements ne sont ni intrinsèquement bénéfiques ni néfastes, leur impact dépendra largement de nos choix collectifs et individuels.
Pour les entreprises, l’impératif est clair : intégrer l’IA devient une question de survie plus que d’avantage compétitif. Comme l’a souligné Schmidt : « Si vous n’utilisez pas cette technologie, vous ne serez pas pertinent par rapport à vos pairs et vos concurrents. »
Pour les individus, la préparation passe par l’acquisition de nouvelles compétences – non pas tant techniques que créatives et relationnelles, celles qui resteront difficiles à automatiser. Il s’agit également de développer une « littératie IA » permettant d’interagir efficacement avec ces systèmes de plus en plus sophistiqués.
Pour les décideurs publics, l’urgence est à l’élaboration de cadres réglementaires équilibrés, favorisant l’innovation tout en atténuant les risques, et à la mise en place de filets de sécurité sociale adaptés à cette nouvelle ère.
La question n’est plus de savoir si cette révolution se produira, mais comment nous nous y adapterons collectivement. Face à cette transformation imminente, chacun peut dès aujourd’hui :
- S’informer régulièrement sur les avancées de l’IA et leurs implications
- Expérimenter les outils d’IA disponibles pour comprendre leurs capacités réelles
- Réfléchir à l’évolution de son métier et aux nouvelles compétences à développer
- Participer aux débats sociétaux sur la gouvernance de ces technologies
L’avenir qu’esquisse Eric Schmidt est à la fois fascinant et vertigineux. Il nous invite à repenser fondamentalement notre rapport à la technologie, au travail et à la connaissance. La super-intelligence arrive – à nous de décider collectivement comment l’accueillir.