Depuis quelques jours, la panique gagne les utilisateurs de Gmail. Sur les réseaux sociaux, des posts viraux affirment que Google exploite désormais vos emails et pièces jointes pour nourrir son IA Gemini. L’info a fait l’effet d’une bombe. Pourtant, Google dément formellement. Alors, rumeur ou réalité ? Décryptage d’une polémique qui en dit long sur notre rapport aux données personnelles.
Une rumeur qui enflamme la toile
Tout part d’un message sur X. Un utilisateur crie au scandale : Google aurait activé par défaut une option permettant à son IA de fouiller dans nos emails. Les tutoriels pour désactiver cette fonction se multiplient. En quelques heures, c’est l’emballement total.
Difficile de ne pas comprendre cette réaction épidermique. On se souvient tous que Meta et X ont déjà puisé dans nos données pour muscler leurs IA. La confiance envers les géants du web ? Au plus bas.
Google monte au créneau
Face au tollé, Google réagit vite. Jenny Thomson, porte-parole de l’entreprise, tranche net auprès de Mashable : « Ces rapports sont trompeurs. Nous n’avons changé aucun paramètre. Les fonctionnalités intelligentes de Gmail existent depuis des années et nous n’utilisons pas votre contenu Gmail pour entraîner Gemini. »
Alors d’où vient le malentendu ? La réponse tient en une nuance cruciale. Oui, Gmail lit vos emails. Mais pour vous rendre service, pas pour entraîner son IA. En théorie du moins.
Les « fonctionnalités intelligentes », c’est quoi au juste ?
Ces fameuses Smart Features ne datent pas d’hier. Vous les utilisez sans doute chaque jour sans y penser. Le filtre anti-spam qui bloque les arnaques ? Il analyse forcément vos messages. La saisie prédictive qui termine vos phrases ? Pareil. Le tri automatique entre promotions et emails importants ? Même combat.
Gmail extrait aussi les infos utiles de vos messages : numéros de suivi de colis, dates de vol pour votre agenda, réservations d’hôtel. Pratique, non ? Sauf que pour offrir ces services, l’algorithme doit scanner le contenu de vos emails. C’est là que ça coince.
Google jure la main sur le cœur que ce traitement reste local, qu’il sert uniquement à améliorer votre expérience personnelle. Pas question de gaver Gemini avec vos conversations privées. Mouais. Le problème, c’est que la frontière est floue. Très floue.
Une politique de confidentialité à géométrie variable
Dans ses conditions d’utilisation, Google affirme : « Nous n’utilisons pas vos données Workspace pour entraîner notre IA générative sans votre accord. » Ouf, on respire. Mais la phrase suivante douche l’enthousiasme : « En activant les fonctionnalités intelligentes, vous acceptez que Gmail utilise votre contenu pour personnaliser votre expérience. »
Personnaliser, améliorer, entraîner… où commence l’un, où finit l’autre ? Cette zone grise entretient la confusion. D’autant que cette clause est noyée au milieu de pages de jargon juridique indigeste. Avouez que vous ne les lisez jamais, ces conditions d’utilisation.
Le détail qui dérange : la révision humaine
Voilà un point que Google mentionne à demi-mot. Certaines de vos conversations peuvent être lues par de vrais humains. Des prestataires externes, formés par Google, examinent des emails pour évaluer la qualité des réponses de l’IA.
Ces réviseurs débusquent les bourdes, les approximations, les réponses inappropriées. Leurs retours servent à affiner le système. Ces conversations sont censées être anonymisées avant examen et conservées trois ans maximum.
Google prévient d’ailleurs : ne confiez pas à Gmail des infos sensibles que vous refuseriez de voir lues par un réviseur. Gênant, comme mise en garde. Surtout pour un service de messagerie.
Comment reprendre le contrôle
Même si Google jure ne pas entraîner Gemini avec vos emails, rien ne vous empêche de désactiver ces fonctionnalités. Après tout, mieux vaut prévenir que guérir.
Sur ordinateur, cliquez sur l’engrenage en haut à droite de Gmail. Allez dans « Voir tous les paramètres », puis descendez jusqu’à « Fonctionnalités intelligentes ». Décochez « Activer les fonctionnalités intelligentes dans Gmail, Chat et Meet ». Validez.
Mais ce n’est pas fini. Retournez dans les paramètres, cherchez « Fonctionnalités intelligentes de Google Workspace ». Cliquez sur « Gérer les paramètres des fonctionnalités intelligentes Workspace ». Là, décochez encore deux cases : « Fonctionnalités intelligentes dans Google Workspace » et « Fonctionnalités intelligentes dans d’autres produits Google ». Enregistrez.
Sur mobile, même topo via le menu « Paramètres » puis « Confidentialité des données ». Fastidieux, mais nécessaire si vous tenez à votre tranquillité.
Le prix de la confidentialité
Désactiver ces fonctions a un coût. Adieu le correcteur orthographique intelligent. Terminée la saisie prédictive qui vous faisait gagner du temps. Plus d’ajout automatique d’événements dans votre agenda. Les réponses rapides suggérées ? Envolées.
Bref, vous retrouvez un Gmail version 2005. Plus basique, certes plus sobre en matière de données, mais franchement moins pratique. À chacun de peser le pour et le contre selon ses priorités.
Au-delà de Gmail, un débat de société
Cette polémique dépasse largement le seul cas de Google. Instagram, Facebook, LinkedIn, X… tous ont déjà été pris la main dans le sac à collecter nos données pour leurs IA. Parfois avec notre consentement, souvent sans qu’on comprenne vraiment ce qu’on acceptait.
La méfiance actuelle des utilisateurs ne sort pas de nulle part. Elle découle d’années de pratiques opaques, de petites lignes cachées, de paramètres par défaut favorables aux entreprises. Quand on voit « Fonctionnalités intelligentes » en 2025, notre cerveau traduit immédiatement « IA qui va bouffer mes données ».
Google paie aujourd’hui la facture d’une décennie de flou artistique dans ses conditions générales. L’interface Gmail ressemble à un labyrinthe où protéger sa vie privée relève du parcours du combattant. Options éparpillées, formulations alambiquées… il faut avoir du temps et de la patience.
Trois attitudes possibles
Face à cette situation, vous avez le choix. D’abord, l’option confiance. Vous croyez Google sur parole, appréciez les fonctions pratiques de Gmail et laissez tout activé. Après tout, l’entreprise affirme ne pas utiliser vos emails pour Gemini.
Deuxième option, la paranoïa assumée. L’idée même qu’un algorithme scanne vos messages vous hérisse. Vous désactivez tout et tant pis pour le confort. Au moins, vous dormez tranquille.
Troisième voie, l’adaptation. Vous gardez Gmail pour les emails anodins mais utilisez une messagerie chiffrée (ProtonMail, Tutanota) pour les échanges sensibles. Vous vérifiez régulièrement vos paramètres de confidentialité. Vous restez vigilant sans verser dans la psychose.
Exiger plus de transparence
Au fond, cette affaire révèle un problème structurel. Les entreprises tech doivent arrêter de nous prendre pour des imbéciles. Les politiques de confidentialité sur 50 pages en jargon juridique, ça ne passe plus. Nous méritons mieux.
Des tableaux de bord clairs, visuels, compréhensibles en un clin d’œil. Des choix explicites lors de la première utilisation, pas des cases précochées qu’on valide par réflexe. Une vraie transparence sur l’utilisation de nos données, pas des formules à rallonge qu’il faut décrypter avec un avocat.
L’ère de l’IA impose une vigilance accrue. Entre les promesses technologiques et les risques pour notre vie privée, l’équilibre reste précaire. Chacun doit pouvoir choisir en connaissance de cause. Mais pour ça, encore faut-il que les entreprises jouent franc jeu.
Alors oui, Google nie utiliser vos emails pour entraîner Gemini. Mais la confusion persiste, alimentée par des années de méfiance accumulée. Et si au lieu de nous rassurer avec des communiqués, ces géants commençaient par simplifier leurs paramètres et clarifier leurs pratiques ? Ce serait déjà un bon début.